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Histoire du TDAH
Philosophie

Le TDAH : une fausse maladie ?

Publié le

29/10/2023

Mickael Nardi

Aujourd'hui, on va parler d'une idée reçue qui a la peau dure et qui fait du mal à beaucoup de TDAH : que c'est une fausse maladie, qui est la conséquence de la société dans laquelle on vit.

C'est cet argument qui bloque beaucoup de personnes dans l'obtention d'un diagnostic et du traitement adapté.

Pour démêler le vrai du faux, on va faire un peu de philosophie.

Mais n'aie pas peur, je te guiderai tout au long de ma réflexion !

Sans plus attendre, c'est parti 👇

1) Introduction

On imagine la maladie comme quelque chose de biologique, d'objectif.

Mais les conditions sociales peuvent parfois être à la source de l'apparition de certaines maladies :

  • le scorbut du marin à l'époque des explorateurs, dû aux carences de vitamine C liées au régime alimentaire sur les bateaux
  • les épidémies liées à l'hygiène des quartiers ouvriers à l'époque de la révolution industrielle
  • aujourd'hui avec le TDAH, dans un monde où notre attention est toujours plus sollicitée

Mais si le "social" a un impact sur l'apparition d'une maladie, peut-on en conclure que la maladie en question n'existe pas ?

Que d'en traiter les symptômes est inutile tant qu'on n'en traite pas la source ?

Que se focaliser sur la maladie est une manière de se déresponsabiliser de son propre rôle dans l'apparition de la maladie en question ?

Un sujet vaste et complexe dont beaucoup d'adversaires du TDAH profitent pour défendre des thèses dangereuses.

Pour eux, le TDAH est une fausse maladie, dont on envisage trop peu la genèse sociale. Ils en tirent deux conclusions :

  • le traitement médicamenteux ne traite pas le problème à la source, c'est donc un effet de mode lié à l'industrie pharmaceutique
  • le focus biologique du TDAH a pour conséquence de déresponsabiliser les différents acteurs concernés

Il y a beaucoup à dire pour contredire ces articles. L'édition d'aujourd'hui n'a pas pour vocation d'en faire une critique exhaustive.

(La bonne nouvelle, c'est que j'ai eu du mal à trouver ces 2 articles : c'est plutôt bon signe).

Je vais me focaliser sur l'hypothèse sociale du TDAH, et pour m'y aider, je vais convoquer un penseur français méconnu : Georges Canguilhem.

Philosophe et médecin, Canguilhem a écrit dans la deuxième moitié des années 1900.

Oui, à l'époque on pouvait être passionné de médecine et fumer des grosses clopasses... Ah, c'est encore le cas aujourd'hui ?

Dans un de ces textes, intitulé sobrement "Les maladies" (Écrits sur la médecine), il traite justement des causes sociales vs biologiques des maladies.

Le passage que je vais commenter aujourd'hui est particulièrement parlant. Je vous le partage maintenant. Si tu ne comprends pas tout, pas d'inquiétude : je le commente en détail juste en dessous 👇

2) Le texte

"Ne doit-on pas reconnaître des causalités d'ordre sociologique dans l'apparition et le cours des maladies mêmes ? [...]
Quelque importance qu'on doive reconnaître au mode de vie, lié aux conditions de travail, dans la multiplication des situations pathologiques, par exemple du fait de l'épuisement musculaire ou de la dérégulation des rythmes fonctionnels, il est abusif de confondre la genèse sociale des maladies avec les maladies elles-mêmes.
L'ulcère de l'estomac, la tuberculose pulmonaire sont des maladies dont le tableau clinique ignore qu'elles peuvent être l'effet de situations de détresse individuelles ou collectives.
Même si les travaux de l'horloger ou les devoirs de l'écolier sont des révélateurs des défauts de la vision, plus que ne l'est la garde des moutons, on n'ira pas jusqu'à dire que les malades de la vue sont des faits sociaux.
Il y a pourtant des cas où le recensement et l'évaluation des facteurs de maladie peuvent prendre en considération le statut social des malades et la représentation qu'ils en ont.
Pour utiliser un vocabulaire mis à la mode par les travaux de Hans Selye, disons qu'on peut inscrire parmi les formes pathogènes du stress, c'est-à-dire d'agression non spécifique, la perception par l'individu de son niveau d'insertion dans une hiérarchie d'ordre professionnel ou culturel.
Le fait de vivre la maladie comme une déchéance, comme une dévalorisation, et non seulement comme une souffrance ou réduction de comportement, doit être tenu pour l'un des composants de la maladie elle-même."

3) Nature biologique vs sociale des maladies

Comme on l'a présenté en introduction, certaines maladies ont des causes sociales. Mais quelles conclusions tirer de ce constat ?

Pour Canguilhem, même si les causes d'un trouble ne sont pas seulement biologiques ou héréditaires, ça n'a pas de sens de dire que la maladie n'existe pas.

Pendant longtemps, et encore aujourd'hui, les spécialistes du TDAH mettent en avant les aspects génétiques du TDAH pour démontrer l'existence réelle du trouble.

En réalité, on sait qu'il est causé par un savant mélange de génétique (inné) et d'environnement (acquis). Mais ça n'invalide pas son existence.

Canguilhem donne un exemple parlant : à l'époque des bergers, le fait d'être myope ne posait pas de problème, personne ne s'en inquiétait, personne n'avait même conscience d'avoir le trouble.

Depuis que la société a évolué et que de nouvelles tâches et besoins sont apparus, la myopie peut poser problème : pendant la lecture, l'écriture, ou la réalisation de tâches minutieuses.

Mais de là à affirmer que "les malades de la vue sont des faits sociaux", il faut oser le pas.

C'est pourtant ce que font ceux qui défendent l'hypothèse sociale du TDAH.

4) L'importance des perceptions individuelles

Toutefois, les répercussions sociales de la maladie peuvent parfois faire partie intégrante du trouble.

C'est encore plus vrai dans le domaine de la santé mentale : on parle du "retentissement".

Par exemple, avoir un TDAH crée des troubles du systèmes exécutif qui se répercutent :

  • au travail
  • dans nos relations
  • dans nos études...

Et c'est intéressant car Canguilhem prend aussi l'exemple d'un autre trouble "à la mode" à son époque : le stress.

Le stress est un concept large et assez diffus. Il peut y avoir du bon stress et du mauvais stress.

Pour diagnostiquer le mauvais stress, on peut prendre en compte la situation sociale de la personne qui en souffre, et sa perception de la situation.

Se sentir en décalage, déphasé par rapport aux autres, ou carrément à la ramasse, c'est ça, "la perception par l'individu de son niveau d'insertion dans une hiérarchie d'ordre professionnel ou culturel."

Nous voulons tous "réussir" et gagner au jeu auquel nous avons (plus ou moins) choisi de jouer : la définition de la réussite diffère pour tout le monde, mais le simple fait d'être en vie nous donne naturellement cette envie de gagner. C'est le rôle de nos émotions que de nous motiver.

Il existe des structures cérébrales qui ont pour seul but de situer notre position relative aux autres dans la hiérarchie d'un groupe social.

Quand un trouble nous bloque dans cette quête qui nous anime, alors ce trouble existe, et mérite d'être pris au sérieux et traité.

5) Les rôles du patient et du médecin dans le parcours de guérison

Quand on va voir un psychiatre pour un diagnostic de TDAH, ce n'est pas pour obtenir une étiquette qui confirme qu'on n'y peut rien.

C'est parce qu'on sent qu'on n'arrive pas à faire ce qu'on veut faire, qu'on se sent bloqué, qu'on se sent nul, incapables par rapport à ce que les autres font. Et qu'on veut trouver une solution contre ça.

C'est "le fait de vivre la maladie comme une déchéance, comme une dévalorisation" qui nous pousse à creuser le sujet du TDAH et à chercher des solutions.

Et peu importe si c'est lié à un jeu social de notre époque (comme par exemple l'entrepreneuriat), ça n'empêche pas que ce sentiment "doit être tenu pour l'un des composants de la maladie elle-même."

Ça mérite d'être écouté, compris et pris en charge. Et de proposer les solutions les plus efficaces possibles : médication, psychothérapie, coaching, mentorat...

Bien sûr, dans le cas du TDAH, la médication n'est pas une solution miracle.

Mais elle est une base très souvent nécessaire qui va permettre de travailler + efficacement sur les aspects de sa vie qu'on veut améliorer (rapport aux autres, projet professionnel / entrepreneurial, gestion des émotions, connaissance de soi...).

Prendre conscience de ses limites, ce n'est pas se résigner, ce n'est pas se déresponsabiliser.

C'est au contraire un chemin qui permet d'avoir accès aux soins nécessaires pour pouvoir avancer et se réaliser.

Comme l'a dit Canguilhem dans un autre texte :

"La part que le médecin peut prendre à la guérison consisterait, une fois prescrit le traitement requis par l’état organique, à instruire le malade de sa responsabilité indélégable dans la conquête d’un nouvel état d’équilibre avec les sollicitations de l’environnement."

Autrement dit, le médecin doit aider le patient à prendre en main sa guérison.

La guérison, c'est développer sa capacité à faire face aux adversités de son environnement pour s'y épanouir.

C'est l'objectif de tout être vivant, et encore plus le nôtre en tant qu'humains qui vivons dans des environnements si complexes et changeants.

On veut répondre à cette question si profonde : "Qu'est-ce que je dois faire ?"

N'en déplaise aux fans de sciences dures, cette question "morale" concerne aussi le médecin et le biologiste.

Comme le dit Kurt Goldstein, pionnier de la neuropsychologie moderne (1878-1965) :

"La biologie a affaire à des individus qui existent et tendent à exister, c’est-à-dire à réaliser leurs capacités du mieux possible dans un environnement donné."

C'est notre devoir moral de réaliser son potentiel. Il n'y pas de réponse toute faite. Et parfois, il faut savoir demander de l'aide aux bonnes personnes pour être guidé.

J'espère que tu m'as suivi jusque là 😉 Faisons maintenant un petit récap de tout ce qu'on a vu ensemble aujourd'hui.

6) Conclusion

Étudier un trouble, ce n'est pas seulement connaître ses causes.

Même si le médecin s'intéresse aux causes lors du diagnostic, c'est avant tout pour déterminer la stratégie optimale pour pouvoir avancer et créer les conditions favorables au changement.

Pour à terme, travailler sur sa personnalité et mettre en place de nouvelles habitudes de vie.

Dans le cas du TDAH, ce n'est pas se réfugier derrière une étiquette, mais c'est obtenir un traitement et l'accès à des professionnels (psychiatres, psychothérapeutes, coachs, mentors...) qui nous aident à réaliser notre plein potentiel.

Dans l'idéal, bien sûr qu'un travail de prévention, avec les parents, l'école, et la formation des professionnels de santé, serait nécessaire pour éviter de rencontrer des problématiques à l'âge adulte.

Mais il ne faut pas pour autant dénigrer le trouble, semer le doute et faire peur à celles et ceux qui en souffrent aujourd'hui.

Peu importe que les causes puissent être sociales, pour ma part, la médication a changé ma vie.

Et c'est aussi le cas de l'extrême majorité des TDAH que je connais.

Certes, la médication n'apprend pas de compétence. J'ai dû travailler à côté de ça.

Mais les compétences et les connaissances ne changent pas la chimie du cerveau.

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