Un changement de paradigme à venir dans la compréhension du TDAH
Cet article est basé sur le commentaire (en anglais) de Tycho J. Dekkers, pédopsychiatre néerlandais et professeur de psychiatrie et psychologie à l'université d'Amsterdam.
Ce commentaire porte sur un article de janvier 2024 rédigé par T. Banaschewski et ses collaborateurs, intitulé : "Perspectives sur le TDAH chez les enfants et les adolescents envisagé comme une construction sociale, dans un contexte de diagnostic et de prescription médicamenteuses croissantes"
Introduction
Selon Banaschewski et ses collaborateurs, nous sommes à l'aube d'un changement de paradigme majeur dans la compréhension du TDAH.
L'idée, c'est que le TDAH n'est pas une entité "naturelle", une "chose" qui existe dans la monde, mais plutôt une construction sociale ou culturelle.
Pourquoi ce changement de paradigme est-il nécessaire, voire souhaitable pour ceux qui souffrent de ce trouble ?
Les bénéfices porteront sont doubles :
- limiter les conséquences négatives de l'étiquetage "TDAH"
- améliorer la qualité de l'accompagnement des personnes TDAH
Ce sont ces deux points que nous allons détailler aujourd'hui dans cet article.
1) Conséquences négatives de la conception actuelle du TDAH
Voir le TDAH comme une entité "naturelle", innée, a des conséquences négatives, bien que non intentionnelles à la base.
Aujourd'hui, la communauté scientifique est unanimement d'accord pour affirmer que le TDAH est une combinaison de facteurs biologiques et environnementaux/contextuels. (Faraone, Banaschewski et al 2021)
Toutefois, le discours actuel sur le TDAH porte de façon prédominante sur les aspects neurobiologiques, innés et génétiques (Mitchell 2012 ; Bourdaa et al 2015 ; Freedman 2016 ; Batstra et al 2020 ; van Langen et al 2022), au détriment d'autres facteurs tout aussi cruciaux :
- Pauvreté et niveau socio-économique bas de la famille (Keilow, Wu & Obel, 2020)
- Psychopathologies parentales (Björkenstam et al. 2018)
- Traumatismes (Ouyang et al. 2008)
- Temps d'écran (Landhuis et al. 2007 ; Liu, Chen et al. 2023)
- Carence affectives précoces (Østergaard et al. 2016)
- Être le plus jeune de sa classe (Caye et al. 2020)
Mettre un accent trop fort sur les facteurs biologiques porte un risque : celui de proposer une conception déterministe, individualiste et décontextualisée du TDAH.
Autrement dit, les enfants, les parents et leurs professeurs risquent de se mettre à croire que ce sont les enfants eux-mêmes, ou bien leur cerveau, qui est d'abord responsable des symptômes observés.
Cette décontextualisation du TDAH comporte 3 risques majeurs :
- un pessimisme prognostique
- une stigmatisation
- un recours trop fréquent aux médicaments
Nous allons les détailler maintenant.
a) Pessimisme prognostique
Ce terme un peu barbare ne signifie pas autre chose que ceci : le fait d'avoir moins d'espoir et moins d'optimisme pour le futur.
Un prognostic, c'est le jugement qu'on porte sur ce qui va nous arriver dans le futur.
Penser le TDAH hors contexte, comme un trouble inné et biologique, laisse penser que le problème sera persistant et incurable. (Phelan 2005 ; Bennett et al. 2008 ; Lebowitz et al. 2016 ; Lebowitz et al. 2019)
Ce phénomène a un nom : l'internalisation du trouble.
Plus une personne attribue ses problématiques à la biologie :
- plus elle pense que ses problèmes vont durer (Lebowitz et al. 2013 ; Kemp et al. 2014)
- moins elle a confiance en les mécanismes compensatoires qu'elle peut mettre en place (Lebowitz et al; 2018)
- moins elles envisagent positivement leur prognostic (leur vie future) (Lebowitz et al. 2014)
Une étude a testé ceci pour le TDAH chez les enfants (Hennig et al. 2023) : leur partager des croyances décontextualisées sur leur TDAH.
Le résultat : un pessimisme accru des enfants quant à leur potentiel.
Une autre étude a mis en évidence que les attentes académiques des enfants avec un TDAH sont bien plus basses que la normale (Eisenberg et al. 2007)
Identifier et combattre le pessimisme prognostique est crucial, car nos attentes (et celles de notre entourage - parents & professeurs) deviennent souvent des prophéties auto-réalisatrices. (Rosenthal & Jacobson, 1968)
b) Stigmatisation accrue
Cette conception hors-contexte du TDAH pourrait mener à un deuxième travers : la stigmatisation.
Plusieurs études ont montré que les personnes sont plus réticentes à l'idée d'interagir avec des personnes qui ont des troubles mentaux et que ces dernières sont perçues comme plus dangereuses, quand leurs troubles mentaux sont envisagés, par ceux qui les jugent, à travers un prisme biologique. (Lebowitz et al. 2019 ; Haslam, 2011 ; Kvaale et al. 2013)
Le pire, c'est que ce préjugé s'applique aussi aux professionnels de santé : quand ces derniers attribuent des causes biologiques aux troubles de leurs patients, ils font preuve de moins d'empathie que les professionnels qui attribuent les problématiques des patients à des facteurs non-biologiques (Lebowitz et al. 2014)
c) Recours trop fréquent aux médicaments
Dernière conséquence négative de cette conception hors-contexte du TDAH : le recours trop fréquent à la médication.
Considérer le TDAH comme un trouble avant tout biologique, c'est favoriser les décisions cliniques qui ciblent le fonctionnement du cerveau, comme le traitement médicamenteux qui agit directement sur les taux de neurotransmetteurs (dopamine et noradrénaline) (Iselin et al. 2003 ; Lebowitz et al. 2017)
Des études ont montré que plus les professionnels de santé ont tendance à avoir une explication biologique du trouble, plus ils estiment hautement l'efficacité de la médication (Ahn et al. 2009 ; Lüllmann et al. 2011 ; Carter et al. 2017 ; Gershkovich et al. 2018)
Le revers de médaille de cette conception, c'est une confiance plus basse en l'efficacité des approches non-pharmacologiques, basées sur le contexte (Kemp et al. 2014 ; Lebowitz et al. 2014 ; Lebowitz et al. 2017)
2) Un changement de paradigme nécessaire pour mieux accompagner les enfants concernés par le TDAH
Prendre en compte les éléments contextuels du TDAH aura des conséquences positives sur l'accompagnement des enfants TDAH.
Les recommandations internationales sont formelles : le traitement médicamenteux ET la guidance parentales sont les interventions de premier choix.
Toutefois, en pratique, beaucoup plus d'enfants reçoivent la médication plutôt que des programmes d'entraînement aux habiletés parentales. (Dekkers et al. 2022)
La conception biologique du TDAH influence les choix des professionnels de santé vers une intervention médicamenteuse, avant d'envisager d'autres types de traitement.
Bien sûr, le problème réside aussi dans la facilité d'accès à la médication (argent et temps) versus l'investissement des parents dans une formation aux habiletés parentales (et le fait de trouver des professionnels compétents et disponibles sur ce sujet).
Le changement de paradigme souhaité mettrait davantage l'accent sur des intervention comportementales, basées sur le contexte de l'enfant.
Et parmi ces interventions, la plus efficace semble être l'accompagnement des parents (Dekkers et al. 2022 ; Doffer et al. 2023 ; Hornstra et al. 2023)
Commencer l'accompagnement d'un enfant par l'accompagnement de ses parents montre une efficacité clinique (et économique !) supérieures à un accompagnement qui démarre d'abord par le traitement médicamenteux (Page et al. 2016 ; Pelham et al. 2016)
De plus, l'accompagnement des parents réduit significativement le besoin de traitement médicamenteux par la suite (Coles et al. 2020)
L'avantage de cette approche graduelle : limiter le recours à la médication pour les enfants, tout en continuant d'avoir le traitement disponible pour les enfants qui en ont réellement besoin.
Oui cette approche nécessite du travail, une remise en question des parents, du corps enseignant et des professionnels de santé, qui doivent tous assumer leur rôle dans le développement sain de ces enfants.
Comme toujours, l'effort est grand, mais les bénéfices en valent largement la peine.
Conclusion
Pour conclure en citant l'article :
"Si le TDAH était conceptualisé et enseigné comme une construction sociale qui :
- favorise une approche holistique qui évite de réduire les personnes à leur TDAH
- reconnaisse les implications profondes du diagnostic sur le développement de l'identité d'un enfant
- rejette l'approche réductionniste qui se focalise sur des symptômes et des comportements pris isolément
- tout en considérant les facteurs sociaux qui entrent en jeu
Alors, on pourrait faire l'hypothèse que le diagnostic et le traitement du TDAH entamerait un changement de paradigme transformateur."
Et toi, que penses-tu de cette approche du TDAH chez l'enfant ?