Dans cet article, on va se demander comment développer ses compétences émotionnelles quand on a un TDAH.
Souvent perçues comme une nuisance, surtout quand elles sont négatives, les émotions sont pourtant des indicateurs précieux pour vivre une vie épanouie.
Mais c'est difficile de se défaire de cette vision quand depuis toujours, on oppose la cognition aux émotions, la raison aux passions (en supposant la primauté de l'une sur l'autre).
Les émotions ont retrouvé leurs lettres de noblesse à partir du siècle dernier. Au fur et à mesure, on a découvert que la raison et les émotions avaient besoin l'une de l'autre pour qu'un individu fonctionne de façon adaptée.
Pourquoi les émotions sont-elles importantes ? Comment développer ses compétences émotionnelles ?
C'est ce qu'on va creuser ensemble aujourd'hui.
C'est parti 👇
1) L'importance des émotions
a) Emotions, valeurs et buts
Le concept d'émotion est extrêmement complexe et il est loin d'être totalement élucidé. Pour mettre en valeur l'importance des émotions, on va voir à quoi elles servent.
En tant qu'humains, et plus largement en tant qu'êtres vivants, notre objectif est de "survivre", au sens large. Pour survivre, nous devons satisfaire nos besoins.
Nous avons les mêmes besoins de base qu'une fourmi : manger, boire, se reproduire. Mais au fur et à mesure que le cerveau devient complexe, nos besoins le deviennent également. Nous voulons aussi être en sécurité, vivre en relation avec les autres, développer son estime de soi et comprendre le monde qui nous entoure.
On peut voir ces besoins comme des buts. Nous adaptons nos actions et comportements afin de maximiser nos chances d'atteindre ces buts.
Quel est le rôle des émotions dans tout ça ? Elles guident nos actions, en amont de l'action mais également en aval. Je m'explique.
En amont, les émotions sont le reflet des valeurs qui guident nos comportements (motivation a priori) :
- Les choses qui suscitent des émotions positives sont considérées comme désirables, bonnes, dignes d'être poursuivies
- A contrario, les choses qui génèrent des émotions négatives sont estimées comme à éviter, dommageables, dangereuses
En aval, elles agissent aussi comme un indicateur de notre avancée vers un but (feedback a posteriori) :
- Une émotion positive nous incite à continuer dans la direction qu'on s'est fixée ("bravo, poursuis dans cette voie"!)
- Une émotion négative nous signale que le plan ne fonctionne pas comme prévu et qu'il faut peut-être modifier quelque chose ("t'as merdé, faut ajuster le plan")
Tu l'as compris, tes émotions sont les lunettes à travers lesquelles tu vas filtrer ce que tu perçois du monde. Ce qui est pertinent selon ton système de valeur va être saillant pour ton esprit, et tu n'auras même pas conscience de ce qui ne l'est pas.
Autrement dit, on peut considérer les émotions comme la source de la motivation. Sans émotion, pas de désir, donc pas de mise en mouvement ni d'actions.
Comment ces processus se traduisent-ils au niveau cérébral ?
b) La neuropsychologie des émotions
Les chercheurs en neurosciences ont mis en valeur les structures cérébrales impliquées dans les processus que je viens de décrire.
Sans avoir la prétention d'être exhaustif, voici quelques structures clés qui entrent en jeu.
L'amygdale
Cette petite structure nichée au coeur de notre cerveau agit comme un radar qui nous signale les éléments pertinents de notre environnement.
Souvent, on considère l'amygdale comme le centre de la peur, mais il ne faut pas oublier qu'elle est également à l'origine des émotions positives !
Fun fact : la réactivité de l'amygdale, c'est-à-dire la sensibilité de ce "radar", varie grandement selon les personnes, de façon innée. Certaines sont stressées pour "un rien", tandis que d'autres vivent dans la détente la plus complète jusqu'au dernier moment.
Une fois le signal émis par l'amygdale, plusieurs autres structures entrent en jeu. Jusqu'à ce que le message arrive à notre conscience, au niveau du cortex préfrontal.
Le cortex préfrontal
C'est la zone du cerveau qui va nous aider à prendre la bonne décision par rapport au signal de l'amygdale.
Soit on considère les informations pertinentes, et il active un comportement. Soit on estime qu'il n'y a pas lieu de s'enflammer, et il va dire à l'amygdale de se calmer en l'inhibant.
Dans le cas d'une mauvaise régulation des émotions, c'est au niveau du cortex préfrontal que le noeud se situe : il est incapable d'inhiber et de réguler les signaux émotionnelles qui viennent à lui.
C'est un des problèmes majeurs rencontrés dans le cadre du TDAH.
Maintenant que l'on a en tête l'importance des émotions, leur rôle, et quelques éléments de compréhension au niveau cérébral, on va voir en quoi consiste précisément les compétences émotionnelles.
2) Les 5 compétences émotionnelles
Plutôt que vouloir les contrôler et les inhiber, il est possible de faire de nos émotions nos alliées. La bonne nouvelle, c'est que ça s'apprend. C'est dans cette optique que des psychologues ont développé le concept de compétences émotionnelles.
Les compétences émotionnelles sont au nombre de 5 comme résumé dans le schéma suivant.
a) Identifier ses émotions
Cette première étape consiste à prendre conscience d'une émotion quand elle apparaît, et d'être capable de la nommer.
Ça peut être parfois compliqué car une émotion peut en cacher une autre. Par exemple, nous les mecs pouvons avoir appris à masquer notre peur, et la transformer en colère quand elle apparaît.
Les chercheurs ont mis en valeur 7 émotions de base :
- Peur
- Colère
- Tristesse
- Dégoût
- Surprise
- Joie
- Amour / Tendresse
Bien sûr, il est également important de développer sa capacité à identifier ces émotions chez autrui !
b) Comprendre ses émotions
On l'a vu en première partie, les émotions sont un indicateur de la satisfaction (ou non) d'un besoin.
Comprendre l'origine de ses émotions permet de diminuer sa réactivité émotionnelle, et de développer un meilleur équilibre sur le long-terme.
Plusieurs modèles existent pour envisager ces différents besoins fondamentaux. Le modèle de Max-Neef en liste 9 :
- Subsistance
- Protection
- Affection
- Compréhension
- Participation
- Loisir
- Création
- Identité
- Liberté
Mais personnellement, j'apprécie particulièrement la simplicité du modèle de Ryan & Daci qui en liste 3 :
- Besoin de compétence
- Besoin d'autonomie
- Besoin de relation
Comprendre les besoins en jeu lors de l'apparition d'une émotion permet de :
- mieux saisir ce qui est important pour soi et son bien-être
- adapter ses comportements en ce sens
- mieux les exprimer
c) Exprimer ses émotions
Une fois l'émotion identifiée et comprise, il est important de savoir l'exprimer - ou pas, selon le contexte.
Le problème, c'est que l'expression des émotions n'est pas toujours adaptée, qu'elles soient positives ou négatives d'ailleurs.
Ressentir de la colère, et l'exprimer en hurlant et en cassant des objets n'est pas recommandable, tout comme exploser de joie à la réussite d'un examen, à côté de son meilleur ami qui vient d'échouer.
Il importe aussi de savoir écouter les émotions d'autrui sans se laisser submerger par elles.
Pour travailler sur ce sujet, les outils de la communication non violente (CNV) sont d'une grande aide. On peut aussi s'entraîner à exprimer ses émotions par écrit.
Cette expression des émotions sera la base pour pouvoir ensuite les réguler.
d) Réguler ses émotions
Identifier, exprimer et comprendre ses émotions, c'est bien en théorie. Mais quand l'émotion est là, elle nous prend aux tripes.
Il existe un ensemble de techniques qui aident à réguler ses émotions, sans les refouler, ni se faire submerger.
Les émotions négatives comme positives nécessitent d'être régulées : tu te souviens sûrement d'un moment où tu as pris une mauvaise décision en pleine euphorie !
La régulation des émotions consiste en deux choses :
- diminuer l'intensité des émotions (positives ou négatives)
- augmenter l'intensité des émotions (positives ou négatives)
Il existe 5 grandes familles de régulation :
- La modification de la situation (agir sur le problème)
- La réorientation de l'attention (penser à autre chose)
- Le changement cognitif (changer sa perception de la situation)
- Le partage social (en parler aux autres)
- Les techniques physio-relaxantes (méditation, respiration, sport...)
Une fois l'émotion régulée, on peut ensuite l'utiliser pour agir dans son intérêt et celui des autres.
e) Utiliser ses émotions
Cinquième et dernier pilier des compétences émotionnelles, l'utilisation des émotions permet d'orienter nos comportements dans la bonne direction.
On a vu que les émotions étaient un moteur à l'origine de nos actions et de nos comportements.
Apprendre à réguler ses émotions, c'est apprendre à prendre de meilleures décisions en faveur de notre épanouissement, de la satisfaction de nos besoins et du développement de relations sociales de qualité.
Conclusion
Le développement des compétences émotionnelles est un enjeu crucial chez les personnes présentant un TDAH.
Pourtant, la dysrégulation émotionnelle ne fait pas partie des symptômes à identifier dans les échelles diagnostiques internationales.
Le TDAH, notamment quand il n'est pas diagnostiqué, entraîne la mise en place de bon nombre de stratégies dysfonctionnelles pour réguler ses émotions. Quand on se sent submergé par ses émotions ou qu'on ne les comprend pas, il faut bien trouver des solutions, peu importe si elles sont optimales ou non.
On peut s'engager dans des relations sociales dysfonctionnelles, abuser de substances, tout refouler et avoir l'air totalement en maîtrise alors que ça bout à l'intérieur... Le cerveau humain ne manque pas d'imagination pour se soulager avec les moyens du bord !
Une fois qu'on prend conscience de cet enjeu, on peut ensuite envisager le panel de solutions à notre disposition pour nous aider :
- Creuser la piste du diagnostic de TDAH
- Envisager la médication
- Suivre une psychothérapie TCC
- Apprendre les compétences émotionnelles
- Implémenter des techniques dans sa vie de tous les jours
Pour creuser le sujet des compétences émotionnelles, je te recommande très vivement la lecture de ce livre : Les compétences émotionnelles, de Mikolajczak, Quoidbach, Kotsou et Nélis.
Dans une prochaine édition, je creuserai en particulier le sujet de la procrastination, elle aussi liée à une mauvaise gestion des émotions. Et on envisagera des pistes concrètes pour mieux la gérer.
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