Cette semaine, je t'ai concocté un nouvel essai, cette fois-ci sur le TDAH et la vie de couple (on est raccord avec la Saint-Valentin de mercredi dernier !)
Pour l'écrire, je me suis basé sur la lecture d'un ouvrage passionnant : Adult ADHD-Focused Couple Therapy, de Gina Pera et Arthur Robin ("Thérapie de couple spécifique aux TDAH adultes", en français).
J'ai trouvé les conseils du livre d'autant plus pertinents, car je suis moi-même en couple depuis 8 ans.
Et on a tous les deux découvert notre TDAH sur le tard !
Sans plus attendre, c'est parti 👇
1) L'importance de la vie de couple
"Une vie épanouie, c'est aimer et travailler" S. Freud
On peut reprocher ce qu'on veut au père de la psychothérapie, sur ce coup, j'estime qu'il a vu juste.
Certainement parce que ces deux domaines de vie nous permettent de développer notre capacité à jouer, si essentielle aux animaux sociaux que nous sommes.
Mais qu'en est-il quand le jeu devient souffrance, que les émotions négatives prennent le dessus ?
Souvent, j'insiste sur l'importance de dompter son TDAH au travail : comment gagner en productivité, en stabilité, en améliorant son organisation personnelle, le tout, sans se cramer.
Cet aspect est central car c'est lui qui permet d'atteindre une stabilité financière, qui est la condition nécessaire (mais pas suffisante, on est d'accord) pour s'épanouir en société.
Mais il n'y a pas que ça : l'amour et le couple sont souvent une dimension sous-côtée de l'existence. Du moins, elle ne reçoit pas l'attention et le travail qu'elle mérite.
La vie de couple donne un sens à nos vies, un plan de long-terme : si on va passer notre vie ensemble, on a intérêt à faire en sorte, dans nos actions quotidiennes, de maximiser notre bien-être sur le long cours.
S'engager dans un couple est une forme de rite de passage à l'âge adulte : en sacrifiant ma liberté absolue et en renonçant à quantité d'opportunités, je travaille maintenant en binôme sur une vision bénéfique à long-terme.
Même si cette quête comporte son lot de compromis, de négociations, de discussions et, inévitablement, de conflits.
A fortiori chez les TDAH, qui dans le cadre de leurs dysfonctions exécutives, peuvent mal réguler leurs émotions et être entraînés dans des dynamiques relationnelles difficiles à démêler.
De plus, beaucoup de TDAH, par leur recherche chronique de stimulation, et leur incapacité à se projeter à long-terme, sont tout simplement terrifiés par l'idée d'un tel engagement à deux.
Quels sont justement les challenges particuliers auxquels les couples concernés par le TDAH font face ?
C'est ce qu'on va voir maintenant.
2) Les challenges des couples TDAH
Les couples TDAH (avec un conjoint, ou les deux concernés) font face à des challenges particuliers par rapport à la population générale.
Le premier problème majeur, c'est que dans l'immense majorité des cas, personne n'est au courant que le TDAH cause une partie de ces difficultés car il n'est même pas diagnostiqué.
Pera et Robin (2015), thérapeutes de couples spécialisés dans le TDAH, se sont penchées sur le sujet, et ont recueilli ces statistiques assez ahurissantes :
- Le taux de divorce est 3x supérieur chez adultes TDAH (dans leur quarantaine)
- Les adultes TDAH (notamment les femmes) ont moins de chance d'être mariées par rapport aux autres du même âge
- Parmi les 60-94 ans, les adultes TDAH sont plus seuls que les autres
- Les TDAH mariés sont 4 à 5 fois plus nombreux à trouver leur relation de “faible qualité” ou de “qualité moyenne” (par rapport aux autres adultes du même âge dans les mêmes conditions)
- 58% des adultes TDAH ont des mariages dysfonctionnels et sont faiblement satisfaits de leur relation (vs 25% des autres adultes)
Les couples TDAH sont également plus susceptibles que les autres de faire face à des sujets de discorde récurrents, parce que le ou la conjointe :
- Sous-estime le temps nécessaire pour une tâche
- Pense à autre chose pendant une conversation
- Ne se souvient pas de choses qu'on lui a dites
- Ne finit pas les projets domestiques
- Ne répond pas quand on lui parle
- A du mal à démarrer une tâche
- Dit les choses sans réfléchir
- A du mal à gérer la frustration
- Laisse du bazar derrière soi
- Ne prévoit rien
Sans compter la probabilité de relations extra-conjugales accrue par cette impulsivité, conséquence des dysfonctions exécutives du TDAH.
Pourtant, il n'y a pas forcément besoin d'atteindre les limites de son couple pour envisager une thérapie de couple. Il est tout à fait possible de donner tort à ces statistiques.
3) Démonter les clichés sur la thérapie de couple
On imagine la thérapie de couple comme la solution de dernier recours, à deux doigts du divorce.
On pense qu'il faut plusieurs années de cris, de pleurs et d'assiettes qui volent pour envisager de passer le pas.
Ces clichés font énormément de mal à beaucoup de couples qui se passent alors d'une opportunité de travailler sainement sur eux, avant que la situation n'atteigne un point de non-retour.
Les frictions ordinaires du quotidien, quand elles se répètent, sont un motif suffisant de consultation.
Dans le livre, Gina et Robin rappellent les 5 principes de la thérapie de couple (Benson, McGinn & Christensen, 2012) :
- Changer les points de vue sur la relation
- Modifier les comportements relationnels dysfonctionnels
- Diminuer l'évitement émotionnel
- Améliorer la communication
- Promouvoir les forces de la relation
Toutefois, notent les auteurs, ne pas prendre en compte les spécificités liées au TDAH crée le risque d'attaquer les problèmes par le mauvais angle.
Quelles sont les techniques conseillées pour les thérapies de couple spécifiques aux TDAH ?
Il y en a 6, et on va les aborder tout de suite.
4) Les 6 techniques de thérapie de couple pour TDAH
Les auteurs ont écrit ce livre pour donner des clés aux praticiens, et les aider à mieux accompagner les couples dont un ou deux membres ont un TDAH.
Le TDAH posent des problèmes spécifiques, notamment des déficits exécutifs.
Les fonctions exécutives sont essentielles au quotidien :
- être patient et résister aux plaisirs immédiats
- persévérer dans un but précis et résister aux distractions
- planifier et résoudre des problèmes complexes de façon structurée
- inhiber/bloquer les comportements, mouvements, paroles, décisions et émotions inadaptées
Des dysfonctions à ce niveau créent tout un tas de problèmes, non seulement au travail, mais aussi dans le couple.
Pour aider les couples concernés par le TDAH à mieux gérer leur quotidien, Pera et Robin listent 6 techniques.
a) Psychoéducation 🎓
Être diagnostiqué TDAH ne veut pas dire qu'on comprend vraiment ce qu'est le TDAH.
Le but de la psychoéducation est de :
- Eduquer sur le TDAH, notamment les conséquences spécifiques de ce trouble dans leur vie
- Faire face aux réactions positives et négatives suite au diagnostic
- Donner des clés pour comprendre plus justement ses problématiques
- Gérer le déni et les résistances au diagnostic
- Encourager à chercher d'autres solutions et aides
- Nourrir l'espoir que le changement est possible, pour augmenter la motivation à s'engager dans le processus thérapeutique
Concrètement, la psychoéducation ressemble au travail que j'essaie de faire avec les newsletters et les posts Linkedin que j'écris.
Comprendre le problème, c'est déjà avoir des clés pour mieux le gérer.
b) TCC ✨
Les TCC, ou Thérapies Comportementales et Cognitives, s'attaquent aux schémas de pensée dysfonctionnels.
Ces schémas de pensée ne sont pas nécessairement liés au TDAH en lui-même, mais plutôt aux conséquences de l'absence de diagnostic pendant plusieurs années.
Les TCC sont l'outil favori de la plupart des psychologues cliniciens aujourd'hui, et fonctionne aussi bien en face à face qu'en groupe.
c) Medication management 💊
En français, "gestion de la médication".
Le thérapeute de couple est très rarement en capacité de prescrire le traitement à ses patients.
Seuls un psychiatre ou un neurologue sont en mesure de délivrer une ordonnance.
Pourtant, le rôle du thérapeute est essentiel dans accompagner dans la gestion de la médication :
- Il peut aider à trouver un psychiatre spécialisé sur le TDAH adulte, la médication et les comorbidités associés (comme le mien)
- Eduquer sur les différentes options de médication, parce que les rdv chez le psychiatre peuvent être trop courts pour faire de la psychoéducation approfondie
- Aider le patient à noter les effets de la médication pour s'assurer d'une couverture optimale pendant toute la journée, jusqu'au soir
- Être attentif aux effets secondaires, et aider à les minimiser
- Suivre les essais de médication, les dosages, et les bénéfices perçus (les effets du traitement dépendent de chaque individu)
- Déchiffrer, avec le temps et l'avancée du traitement, quels comportements sont des symptômes, des effets secondaires ou des mécanismes de défense, qu'ils soient liés au diagnostic tardif, à l'histoire personnelle et familiale, ou à la personnalité
Pera et Robin identifient quatre étapes pour aider les couples à bien gérer la médication dans le cadre du TDAH :
- Définir des comportements clés à cibler avec la médication
- Développer et implémenter des outils pour mesurer l'occurrence des comportements en question
- Encourager à tenir ces outils de suivi et faire des feedbacks au professionnel de santé, en demandant à ce que la médication puisse aussi faire effet le soir et le week-end (pendant les moments en famille, et pas seulement au travail)
- Capitaliser sur les réussites, et cibler de nouveaux comportements à traiter
d) Changement d'habitudes et comportements 💪
Cette piste thérapeutique a pour but d'agir sur l'environnement du patient pour favoriser de nouvelles habitudes et comportements bénéfiques pour la relation.
Cette fois encore, les auteurs ont identifié 8 étapes pour mettre en place cette stratégie :
- Poser les bases pour motiver le changement de comportement et le travail en équipe du couple
- Améliorer la conscience du temps et effectuer une "revue quotidienne"
- Travailler en équipe pour planifier les semaines dans un agenda
- Faire le lien entre l'agenda et les to-do list
- Combattre la procrastination
- Aider à être attentif et réduire les distractions
- Partager les responsabilités au sein du couple
- Aider à s'organiser
Chacune de ces étapes nécessite des missions à faire entre les séances, car l'apprentissage et les changements n'ont lieu que par la pratique et l'effort délibéré.
D'où l'importance d'envisager la médication, quand c'est possible, pour maximiser les chances de passer à l'action et de gagner en persévérance.
e) Thérapie Relationnelle Imago (TRI) ❤️
Les couples concernés par le TDAH font souvent face à des difficultés de communication.
Ces difficultés nuisent à la qualité de la relation que le couple entretient au quotidien.
La TRI est une technique fondée par Harville Hendrix, qui décrit l'Imago comme « l’image que nous construisons inconsciemment de notre partenaire. Celle-ci s’est construite en fonction de nos parents ou de ceux qui ont pris soin de nous dans notre enfance, de leurs traits de caractère et des interactions, plaisantes ou douloureuses, que nous avons eues avec eux. »
Selon Hendrix, « Dans une relation de couple, nous sommes attirés par la personne qui ressemble à cette image et estimons qu’elle va être en mesure de combler la faille. À partir de cette projection, nous développons attentes et exigences. »
Ces attentes, émotionnelles et profondément ancrées, peuvent venir s'immiscer dans la relation et être à l'origine de réactions perçues comme "irrationnelles" qui allument les conflits.
Pour pallier cela, le thérapeute va encourager le couple à mettre en place deux types de dialogue :
- le dialogue d'appréciation
- le dialogue de changement de comportement
Concrètement, il s'agit d'apprendre à :
- exprimer les frustrations sous la forme de demandes
- supposer de bonnes intentions chez l'autre
- prendre soin de l'autre par ses actions
- partager quotidiennement son appréciation pour l'autre
Le but final est d'aider le couple à atténuer le ressentiment accumulé sur les années, et de développer une vision commune de leur relation.
f) Co-parenting 👨👩👦👦
Dernier point mais pas des moindres, la parentalité.
La plupart du temps, qui dit couple dit enfants. Et qui dit difficultés de couple, dit difficultés avec les enfants.
Les déficits exécutifs liés au TDAH entraînent de nombreuses difficultés, en tant que parent, dans l'éducation des enfants (Weiss, Hechtman & Weiss, 2001) :
- Mauvaise gestion du temps, retards et oublis de rendez-vous
- Réactivité émotionnelle, faible tolérance à la frustration, difficultés à "s'auto-calmer", et donc difficultés à enseigner ces compétences à ses enfants
- Désorganisation au quotidien (cartable, goûters, habillement), difficultés à tenir des rendez-vous, activités, et routines régulières (manger, dormir, devoirs, tâches ménagères)
- Faible capacité à être cohérent dans les récompenses et punitions ; difficultés à mettre en place et maintenir des limites et des règles
- Faibles compétences sociales, et difficultés à interagir avec l'enfant, ses professeurs et d'autres adultes importants dans l'entourage de l'enfant
- Comportements disruptifs ou bruyants qui interfère avec la concentration de l'enfant, et sa capacité à mener à bien ses tâches
- Surcharge de l'emploi du temps, rendez-vous en doublon, avec pour conséquence le fait de rater des événements familiaux importants
- Donner des tâches à l'enfant, qui devraient être gérées par le parent TDAH
- Difficultés à réguler la réactivité émotionnelle, notamment une empathie réduite qui se manifeste par des contacts visuels moins fréquents, moins de patience pour écouter les problèmes de l'enfant, ou une moindre capacité à se connecter aux expressions émotionnelles ou faciales de l'enfant
- Faible capacité de résolution de problème avec le partenaire et l'enfant
Pera & Robin proposent également une stratégie en 9 étapes pour travailler sur ces points avec le couple :
- Faire le point et identifier les challenges
- Faire de la psychoéducation
- Identifier les forces et faiblesses de chaque co-parent
- Identifier l'ampleur des symptômes et orienter vers le traitement adapté
- Mettre en place des objectifs de traitement
- Développer une stratégie pour diviser et gérer les tâches
- Former aux compétences émotionnelles
- Améliorer la communication entre les parents
- Intégrer ce travail avec celui d'autres professionnels et stratégies thérapeutiques
C'est là qu'on voit à quel point le travail des parents sur eux-mêmes est crucial pour que l'enfant évolue dans un environnement optimal pour son développement.
Sujets connexes
À la fin de l'ouvrage, les auteurs développent également 3 domaines d'intervention importants dans le travail sur le couple :
- le rapport à l'argent
- la relation aux écrans
- la sexualité
En définitive, on voit que la prise en charge d'un couple concerné par le TDAH nécessite une vision d'ensemble des problématiques, et l'élaboration d'une stratégie cohérente et ciblée qui accompagne le couple étape par étape.
Conclusion
À l'heure d'aujourd'hui, les praticiens spécialisés dans la thérapie de couple pour TDAH sont trop rares.
L'ouvrage de Pera & Robin sur lequel est basé cette newsletter date de 2016, il est plutôt récent. Il offre des clés pour envisager l'accompagnement des couples de façon plus complète et efficace.
Je rappelle que 5 à 8% des adultes sont concernés par le TDAH. Vu les problématiques que le TDAH non diagnostiqué entraîne à moyen/long-terme, la proportion de TDAH non diagnostiqués parmi ceux qui engagent un processus thérapeutique doit être considérablement supérieur.
J'encourage donc les professionnels de l'accompagnement qui lisent cette newsletter à être vigilants sur cette problématique.
Me concernant, en tant que patient, entamer une thérapie de couple depuis avril dernier a été le meilleur cadeau que je puisse faire, à nous comme à notre - future- progéniture. Avoir un enfant n'est clairement pas d'actualité, mais il n'est jamais trop tôt pour l'anticiper car il y a du travail !
Quel que soit son âge, quelle que soit la "normalité" apparente des conflits, j'encourage vivement quiconque à aller voir un praticien pour parler de sa dernière engueulade qui, quand on y réfléchit, ressemble étrangement à celle d'avant, et aussi à celles qui précèdent...
Les conflits de couple, ce n'est pas seulement des cris, de la vaisselle qui traverse la pièce ou des violences physiques.
Les conflits de couple, ce sont les frictions ordinaires du quotidien, ou les sujets qu'on a pris l'habitude de taire car ils sont explosifs.
Tout ceci, on le vit chaque jour, et on l'accepte, alors que ça va se répéter (et s'aggraver) jour après jour, pendant le reste de notre vie, si on n'agit pas dessus dès maintenant.
Les oublier ou les éviter, c'est les enterrer. C'est confortable pendant un temps.
Puis bien souvent, ça sort de terre dans les moments les plus critiques : changement professionnel, arrivée d'un enfant, événement familial...
Nous sommes tous de grands enfants, qui avons tous évolué au sein d'un noyau familial plus ou moins fonctionnel.
C'est notre devoir moral à tous, en tant qu'adulte, d'assumer notre responsabilité et d'investir dans ce travail sur soi et sur son couple.
Et ce, quel que soit le degré de difficulté. Quel que soit le passif qu'on traîne derrière soi.
Ce travail est difficile. Il nécessite du courage. Il coûte du temps, de l'énergie et de l'argent.
Personne n'a jamais dit que le processus serait facile.
Mais le jeu en vaut la chandelle.
Car le futur que tu peux créer en entamant ce processus peut égaler, voire dépasser, tous tes rêves et idéaux les plus fous.
Travaille sur toi. Demande de l'aide. Cultive ton couple et ta famille.
En l'arrosant chaque jour, tu récolteras de l'amour : la denrée la plus précieuse qui soit 💝
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