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TDAH et double exceptionnalité

Publié le

3/3/2024

Mickael Nardi

Dans cet article, on va parler de la double exceptionalité, terme apparu il y a 30 ans dans le monde anglo-saxon.

Terme assez mal connu en France, je le trouve aussi assez "gênant", au même titre que HPI ou surdoué. Il y a un côté pédant ou prétentieux qui ne me donne pas envie de m'y identifier, bien que je fasse moi-même techniquement partie de la catégorie.

J'ai d'ailleurs parlé de mon rapport au HPI et au TDAH dans une newsletter il y a quelques mois.

La double exceptionalité, c'est "la présence chez une personne d'une douance et d'un trouble neurodéveloppemental ou de santé".

Cela crée des profils de personnes bien particuliers, qui peuvent souvent compenser leurs troubles grâce à leurs aptitudes (aisance verbale, forte mémoire de travail...).

Il n'empêche que c'est une vulnérabilité qui prédispose à des difficultés d'adaptation, à une sous-performance et des échecs, ainsi qu'à des problèmes psychologiques, sociaux et comportementaux.

Cela génère aussi des frustrations, liées au sentiment d'un potentiel compromis par quelque chose qui retient son développement, sans comprendre de quoi il s'agit. Car c'est en effet très difficile de repérer la double exceptionalité.

De quoi s'agit-il exactement ? Qu'en est-il des liens entre HPI et TDAH ? Quels sont les facteurs de risque et de protection dans ce contexte ?

C'est ce qu'on va découvrir ensemble aujourd'hui.

Sans plus attendre, c'est parti 👇

1) Qu'est-ce que la double exceptionalité ?

Le concept de double exceptionalité existe depuis les années 1990.

Mais il a fallu attendre 2015 pour que ce concept soit scientifiquement modélisé par Michelle Ronksley-Pavia (Ronksley-Pavia, 2015. "A Model of Twice-Exceptionality". Journal for the Education of the Gifted.)

Les troubles associés au HPI/douance peuvent être :

  • dyslexie
  • trouble du traitement auditif ou visuel
  • trouble obsessionnel-compulsif
  • trouble de l'intégration sensorielle
  • trouble du spectre autistique
  • syndrome de la Tourette
  • TDAH

Avec souvent, en bonus : anxiété et dépression.

Aux US, on a 0,5% des enfants de moins de 18 ans concernés. En Australie, on estime qu'entre 10 et 30% des enfants HPI sont concernés.

Cette coexistence de facilités et de difficultés crée une situation paradoxale : les forces aident à compenser les faiblesses, mais en retour, les forces n'apparaissent plus comme des forces.

Résultat : de l'extérieur, on est perçu comme moyen, avec des commentaires comme :

  • peut mieux faire
  • ensemble moyen
  • ne fait pas assez d'efforts

À l'école, les notes alternent entre des hauts et des bas, parfois dans une même matière.

L'aisance verbale et le vocabulaire riche sont mis à mal par des difficultés à organiser ses pensées sur papier.

On oublie de rendre des devoirs, ou on les perd.

En apparence, on peut imaginer un manque d'effort, alors qu'en tant qu'enfant, on travaille aussi dur, sinon plus, que les autres.

Se rendre compte que certaines choses faciles pour les autres sont aussi difficiles pour soi-même peut créer de l'anxiété et dépression, avec un syndrome de l'imposteur fort quand seul le HPI est détecté.

Au final, on perd tout enthousiasme et énergie pour l'école, et l'estime de soi baisse d'année en année...

2) Comment identifier la double exceptionalité ?

La coexistence d'un trouble et d'une facilité est très difficile à diagnostiquer. Ici, on va se focaliser sur le TDAH.

La capacité à compenser les difficultés explique la découverte tardive d'un TDAH chez beaucoup d'adultes qui, pendant la première partie de leur vie, ont apparemment "réussi".

Jusqu'à ce que les stratégies de compensation s'effondrent...

Dans une étude datant de 2000, des scientifiques ont listé les caractéristiques des enfants doublement exceptionnels (Higgins, L. D. & Nielsen, M. E., 2000. Responding to the Needs of Twice-Exceptional Learners: A School District and University's Collaborative Approach) :

Forces :

  • vocabulaire développé
  • idées et opinions profondes
  • haute créativité et capacité de résolution de problème
  • très curieux, voire "fouineur"
  • imaginatif et malin
  • beaucoup d'intérêts hors de l'école
  • fine analyse de sujets complexes
  • talent spécifique dans un domaine
  • sens de l'humour développé

Faiblesses :

  • faibles compétences sociales
  • haute sensibilité à la critique
  • manque d'organisation
  • décalage entre compétences verbales et performance à l'école
  • tendances manipulatrices
  • en échec dans une ou plusieurs matières
  • difficultés dans l'expression écrite
  • têtu, n'en fait qu'à sa tête
  • impulsivité

Peut-on anticiper ces difficultés dès l'enfance ? Si le trouble est présent depuis la naissance, les parents et l'école ont-ils vraiment une influence sur l'évolution de cette double exceptionalité ?

Je pense que c'est utile de voir le TDAH comme un terrain qui favorise l'apparition de problématiques.

Mais ces problématiques ne sont pas vouées à se manifester de la même façon et avec la même sévérité selon les personnes et leur environnement.

Le TDAH n'est pas seulement une fatalité congénitale : l'environnement a un rôle non négligeable dans le développement des troubles et leur gravité.

Énormément d'études le montrent, et l'entourage a un rôle non-négligeable à jouer.

C'est d'ailleurs une excellente nouvelle : ça veut dire qu'on peut agir dessus et améliorer les choses !

Mais ça nécessite du travail de la part de toutes les parties prenantes.

Moi-même TDAH ayant compensé longtemps avec ses facilités, c'est une conception qui me tient à coeur de transmettre. La résignation n'a jamais rien résolu ni jamais rien amené de positif.

Quels sont les facteurs de protection et les facteurs de risque chez les enfants doués présentant un TDAH ?

C'est ce qu'on va voir maintenant.

3) Facteurs de risque et facteurs de protection

Selon le conseil de santé du Nouveau Brunswick, "les facteurs de protection et de risque représentent deux éléments clés pour cultiver la résilience.

La résilience est souvent qualifiée comme la capacité de surmonter l’adversité. Cette définition sous-entend que les individus utilisent les ressources internes et externes se trouvant à leur disposition (facteurs de protection) pour surmonter les difficultés (facteurs de risque)."

Dans un rapport récent, rédigé en 2022 à Québec, plusieurs auteurs font le point sur les liens entre TDAH et HPI/douance.

Énormément d'études se sont penchées sur le sujet ces dernières années. Vous pouvez accéder au rapport complet juste ici.

Les auteurs identifient plusieurs facteurs de risque et facteurs de protection, liés à 5 grands domaines :

  • des facteurs individuels biologiques
  • des facteurs individuels psychologiques
  • des facteurs liés à la famille
  • des facteurs liés aux pairs
  • des facteurs liés à l'école

Facteurs individuels biologiques

Sources : Adeyemo et al., 2014; APA, 2013; Budding et Chidekel, 2012 ; Cortese et al., 2012; Ellison-Wright et al., 2008 ; Gatt et al., 2015; Massé et al., 2014; Neudecker et al., 2019

Facteurs de risque

  • Prédispositions biologiques (quand un parent a le trouble, il existe un risque de 57 % de le transmettre à sa descendance; 25 à 30 % des pères ont le TDAH; 15 à 25 % des mères; 20 à 25 % de la fratrie et 78 à 92 % des vrais jumeaux)
  • Être un garçon (pour le TDAH : ratio de 2 ou 3 garçons pour une fille)
  • Faible poids à la naissance
  • Dommages cérébraux avant, pendant ou après la naissance : blessures physiques, naissance difficile, exposition à des agents neurotoxiques ou tératogènes (intoxication au plomb, tabagisme ou substances psychoactives consommées par la mère lors de la grossesse), fièvre prolongée
  • Diminution du volume de certaines régions corticales (cortex préfrontal et cervelet) et subcorticales (corps calleux et thalamus) ainsi qu’une baisse du débit sanguin dans ces régions (ce que corrigent les psychostimulants)
  • Taux plus faibles de dopamine, de sérotonine et de norépinéphrine dans certaines régions du lobe frontal (ce que corrigent aussi les psychostimulants)
  • Tempérament difficile (irritabilité, niveau élevé d’activité, irrégularité du rythme biologique, comportements d’évitement, seuil de sensibilité bas, humeur triste, distractivité, etc.)
  • Consommation de colorants alimentaires

Facteurs de protection

  • Bonne santé
  • Prise de médications recommandées pour le TDAH
  • Alimentation saine
  • Sommeil adéquat
  • Activités physiques cardiovasculaires régulières d’intensité modérée à élevée (jeux, course, saut à la corde, etc.)
  • Tempérament "facile"

Facteurs individuels psychologiques

Sources : Baum et al., 2017; Foley-Nicpon et Candler, 2018; Massé et al., 2014; Misset, 2018b; Pfeiffer et Foley-Nipcon, 2018; Pliszka, 2015; Trails, 2011; Webb et al., 2016

Facteurs de risque

  • Comportements agressifs.
  • Présence d’une comorbidité : 45-80 % présentent un trouble oppositionnel avec provocation; 25-50 % font de l’anxiété ; jusqu’à 30 % sont en dépression; jusqu’à 30 % ont des problèmes de régulation émotionnelle; 10 % ont des tics; 71 % des difficultés d’apprentissage (33 % en lecture; 25 % en écriture; 63 % en expression écrite; 26 % en mathématique; 15 à 35 % une dyslexie) et 50 % des déficits des habiletés motrices
  • Déficits des apprentissages socioémotionnels
  • Gravité ou sévérité du TDAH
  • Dyssynchronie interne (décalage entre les sphères de développement)
  • Stress chronique.
  • Hypersensibilité / Hyperstimulabilité

Facteurs de protection

  • Bonnes habiletés sociales (en particulier serviabilité, convivialité, conformité aux règles, interactions prosociales et attitudes positives avec les autres).
  • Attachement sécure aux parents
  • Bon concept de soi et estime de soi positive
  • Fort intérêt pour un ou des sujets
  • Grande résilience
  • Personnalité agréable
  • Bonnes habiletés de communication
  • Attentes réalistes par rapport à ses performances
  • Fort sentiment d’auto-efficacité
  • Actualisation de soi dans un domaine
  • Compréhension et acceptation personnelle

Facteurs liés à la famille

Sources : Barnard-Brak et al., 2015; Massé et al., 2014; Massé, Lanaris et al., 2020 ; Misset, 2018

Facteurs de risque

  • Problèmes de santé mentale dans la famille
  • Monoparentalité ou absence du père ou de la mère
  • Faible scolarité des parents
  • Faible sensibilité maternelle
  • Instabilité, indiscipline ou manque de supervision parentale
  • Pratiques parentales punitives ou coercitives
  • Conflits conjugaux, violence conjugale, divorce ou séparation
  • Usage abusif des punitions, de la coercition ou du contrôle excessif
  • Surinvestissement dans les tâches scolaires
  • Attentes très élevées et irréalistes des parents par rapport au rendement scolaire.

Facteurs de protection

  • Encadrement familial ferme et positif; pratiques parentales constantes, cohérentes et appropriées à l’âge de l’enfant
  • Stabilité familiale
  • Faible niveau de stress lié au niveau économique des parents, à la vie de couple ou au travail
  • Communication familiale saine
  • Bon réseau de soutien social
  • Partage de moments positifs ou d’activités
  • Bonne organisation familiale
  • Relations positives avec les parents et avec la fratrie
  • Niveau d’éducation élevé ou douance des parents
  • Niveau socio-économique élevé
  • Propositions d’activités éducatives, sportives ou culturelles
  • Valorisation de l’éducation et suivi des progrès de l’enfant
  • Supervision du travail scolaire
  • Collaboration avec l’école, suivi avec l’enseignant et participation à la vie de l’école
  • Soutien à l’autodétermination.

Facteurs liés aux pairs

Sources : Foley-Nicpon et Candler, 2018; Verret et al., 2016

Facteurs de risque

  • Rejet social (50 à 70 % des enfants ayant un TDAH)
  • Isolement social (ne sont pas choisis comme ami ou comme compagnon de travail)
  • Intimidation (victime ou intimidateur).

Facteurs de protection

  • Bonne intégration sociale
  • Présence d’au moins une amitié réciproque et intime
  • Statut social élevé
  • Relations positives avec les autres élèves de la classe
  • Avoir un modèle positif de réussite d’un individu doublement exceptionnel

Facteurs scolaires et communautaires

Sources : Baudry et al., soumis ; Baum et al., 2017 ; Foley-Nicpon et Candler, 2018 ; Foley-Nicpon et Kim, 2018 ; Fugate, 2016 ; Massé et al., 2014 ; Misset, 2018b ; Pfeiffer et Foley-Nipcon, 2018 ; Pliszka, 2015 ; Trails, 2011; Webb et al., 2016

Facteurs de risque

  • Pratiques scolaires punitives ou coercitives
  • Faible rendement scolaire
  • Faible collaboration avec les parents
  • Relation négative avec l’enseignant
  • Non-flexibilité de l’enseignement dans la classe
  • Non-reconnaissance de la douance par les acteurs scolaires
  • Plan d’intervention axé seulement sur les difficultés de l’élève.

Facteurs de protection

  • Diagnostic et traitement précoces du TDAH
  • Identification précoce de la douance
  • Ajustements pédagogiques pour compenser les déficits liés au TDAH
  • Aménagement flexible de la classe
  • Encadrement scolaire ferme, constant et sécurisant
  • Utilisation du renforcement
  • Relations positives avec l’enseignant ou avec d’autres adultes à l’école
  • Sensibilité de l’enseignant aux besoins particuliers de l’élève
  • Tolérance pour les comportements dyssynchroniques (développement inégal selon les sphères)
  • Ajustements pédagogiques pour répondre aux capacités de l’élève
  • Plan d’intervention axé sur les forces et les intérêts de l’élève

Conclusion


La double exceptionalité est un concept qui a plus de 30 ans, mais qui ne s'est jamais vraiment développé au-delà du monde anglo-saxon.

Certaines formes de TDAH "compensées" par des facilités passent alors à travers les mailles du diagnostic. Et c'est à l'âge adulte que les difficultés explosent, quand les exigences de l'environnement deviennent trop fortes...

Prendre en compte la double exceptionalité au plus tôt, c'est pouvoir appuyer sur les facteurs de protection, tout en réduisant les facteurs de risque.

Parce que même si le TDAH est un trouble neuro-développemental présent dès la naissance, il n'empêche qu'on peut faire beaucoup de choses pour diminuer le retentissement du trouble.

En ce moment, le monde de l'accompagnement est en plein développement pour pouvoir proposer des solutions concrètes et efficaces aux parents et aux enfants qui souffrent de cette différence.

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